Morin Edgar:Sur la complexité restreinte et la complexité générale
Sur la complexité restreinte et la complexité générale
Faire
la synthèse de l'ensemble des connaissances. Cette tâche, reposant sur
le besoin d'unité de l'esprit humain, allait de soi dans l'antiquité,
elle était encore possible à la Renaissance; depuis plus de deux
siècles, elle est impossible en raison notamment de la multiplication
des savoirs spécialisés. Trop de gens en ont toutefois conclu que ladite
tâche, parce qu'elle est impossible, a cessé d'être nécessaire. Edgar
Morin n'est pas tombé dans ce piège. Il a compris au contraire que
l'éclatement du savoir rend l'effort de synthèse encore plus impérieux.
Cela le mit dans l'obligation de tenter l'impossible. Là se trouve
l'étincelle initiale et le sens de son œuvre.
Au milieu du XXe siècle, pour remédier au même mal, C.P.Snow, écrivain et physicien anglais, proposa l'idéal de troisième culture,
synthèse de la culture scientifique et de la culture littéraire. Son
message n'eut guère d'écho sauf peut-être dans les hauts lieux du savoir
californien où se forma autour de l'idée de troisième culture le club
des digerati. Edgar Morin ira beaucoup plus loin: jusqu'à l'abolition
des frontières entre les disciplines. Face aux contraintes artificielles
dans la connaissance, il fera preuve d'une liberté rappelant celle de
Goethe, lequel s'adonna à la géologie, la botanique, la physique, la
littérature. Il est vrai que l'ère de la spécialisation s'ouvrait à
peine à ce moment.
Elle atteignait son sommet quand Edgar Morin est entré en scène. On
peut dire de ce cavalier français qu'il partit d'un aussi bon pas que
Descartes, mais dans la direction opposée :vers le plus complexe plutôt
que vers le plus simple.